The Body and Big|Brave – Leaving Non but Small Birds

Sur le bord de la route, une vieille dame était accoudée sur le haut du manche de sa faux, elle regardait la circulation, souriant de ses milles rides. Les bas-côtés étaient impeccablement coupés depuis plusieurs kilomètres, cela me semblait plutôt être l’œuvre d’une épareuse que la sienne. Alors cette rencontre m’apparut comme un mauvais présage, bien que la grande faucheuse ne soit pas ainsi représentée dans l’imaginaire collectif. Il fallait maintenant que je me concentre dans les virages et que je sois vigilant aux camions et aux tracteurs. 

Surtout que je venais de rentrer dans un autre espace temps, grâce ou à cause de la musique que j’écoutais. Le morceau qui défilait à ce moment-là avait aussi quelque chose de grave en plus d’être magnifique : The Blackest Crow, un violon divin se promenant sur une basse lourde et menaçante, comme un orage d’été. Ce n’aurait pas dû être ce morceau à ce moment-là mais un autre. Je voulais découvrir à quoi ressemblait la musique de Big|Brave, un groupe prochainement programmé non loin de là et qui avait aiguisé ma curiosité. Sur mon téléphone, j’ai sélectionné un album qui n’est pas tout fait d’eux mais une collaboration : Leaving Non but Small Birds par The Body and Big|Brave. Et ce fut une claque immédiate. Elles sont rares les surprises, il est maigre le hasard quand on suit l’actualité musicale et qu’on sait toujours à peu près sur quoi on va tomber. Surtout que cette association, et surtout son résultat, semble aussi tenir du miracle. Deux groupes appartenant aux sphères du métal expérimental, accouchent d’un album faisant renaître un folk ancestral.

Leaving Non but Small Birds nous mène vers des contrées désertes et arides, balayées par les vents, un terroir douloureux que chante une voix féminine magnifique de profondeur. Ces sept titres semblent être essentiellement des chants traditionnels déterrés au Canada ou dans les Appalaches et réarrangés par les deux groupes. Avec eux, ressurgit à l’ère contemporaine tout un lot de drame, comme la triste histoire de Polly Gosford, et il faut aussi compter avec les grondements métalliques qui traversent les morceaux de part en part, ajoutant encore lourdeur et gravité. Ainsi, le dernier Babes in the Wood laisse entendre un long bourdonnement avant que la voix ne vienne clore. Peut être que la vieille dame du bord de la route chantait de la sorte lorsqu’elle fauchait les herbes hautes dans ses jeunes années. Ou du moins sa cousine américaine. En tout cas, si ça intéresse quelqu’un, je suis rentré sain et sauf.

Ce disque est sorti en septembre 2021 et ne constitue donc pas une nouveauté, mais j’aime à croire que la musique ne se périme pas au bout de trois semaines.

 

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