Lada Obradovic & David Tixier – L’Astrada (Jazz In Marciac) – 04/08/2021

En ces temps de confinements répétés et de départs forcément immobiles, le duo proposé par Lada Obradovic et David Tixier est un vrai bonheur voyageur. Deux musiciens quasiment face à face, et une foule de câbles un peu partout qui relie piano, Rhodes, synthés, loops, quelques effets, une batterie, un glockenspiel et un métallophone, des micros, des vocodeurs… voici leur univers sillonné d’énergie mais aussi de charme. Ils ne sont que deux mais ils sont denses ! Cela pourrait de prime abord paraître un peu rébarbatif, un peu poseur… encore des faiseurs de sons, des manipulateurs de joujoux synthétiques. Mais pas du tout. Rien n’est ici gratuit ni artificiel; tout est pensé et au service d’une atmosphère, sans trop appuyer, sans trop surcharger, avec facilité et souplesse. La prestation délivrée est bouillonnante de vie dans tous ses aspects.
Chaque morceau est sous tendu par une mélodie (ils composent à égalité) une couleur jamais dissonante, jamais agressive, parfois onirique, parfois grave et réfléchie. Et on découvre des associations innovantes, d’heureuses surprises à chaque coin de morceau. On a le sentiment de lire et découvrir le petit cartel détaillé d’une histoire. La batterie de Lada Obradovic est un vrai délice. Elle est précise et d’un groove à toutes épreuves, avec un toucher délicat et renouvelé, on dirait parfois des envols d’oiseaux, des bruissements de feuilles. Mais elle peut se faire incisive et tranchante, répétitive et soutenue. Cette variété dans la couleur et dans la forme se mêle au piano et aux claviers de David Tixier, en renforce les motifs. Il est rond et inspiré. On y surprend des nuées de Bach, le temps d’une fugue, des harmonies sophistiquées ou mathématiques (le So what en suite de Fibonaci improbable et réussi) et une élégance permanente dans les nappes ondulantes de synthé. A piece of yesterday commence le concert par un ostinato et un petit thème délicat au métallophone et se déploie de façon explosive. Dear You dans lequel se mêlent voix déformées et petits murmures de fillette nous précipite dans un groove et une pulsation forte, avec des moments où la batterie et le piano tiennent la même ligne rythmique. Fortiche ! Us Belong Us ouvre ensuite avec un riff de kalimba auquel répond le piano. C’est irradié de couleurs nostalgiques et l’oreille se laisse pénétrer par la force répétitive de la mélodie et par le prêche du pasteur Bishop T.D. Jakes. Avec bonheur on plonge ensuite dans And What if, une histoire au climat apaisant, des soupçons d’enfance et de souvenirs. Puis Seen a soul dévoile l’errance d’un esprit entre le froid de Sibérie, le noir de la nuit, les appels d’animaux et une samba colorée. Nous avons le plaisir aussi de servir de «cobayes» volontaires et heureux pour un morceau tout neuf, sorti du nid, intitulé It’s not about now, tout à fait ravissant. Puis, Forthy breath nous plonge à travers une mélodie affolée, guillerette dans l’atmosphère des insectes, la vie de l’éphémère qui se cogne, se brûle aux lampadaires. «Ce que nous nommons papillon, la chenille l’appelle la fin». Plus grave It was not enough se souvient du tremblement de terre de Zagreb avec le bruits des chariots d’évacuation, les mots croates murmurés aux oreilles des nourrissons, puis la précipitation de l’évacuation et la douleur de la perte. Le morceau se termine en suspension sur un frappé léger de cymbale comme un souffle qui s’éteint.
Unborn Story clôture le set par les petites voix de ceux qui ne sont pas, ou plus, ou pas encore et se propulse ensuite vers les rivages d’une mer déchaînée. Piano et batterie rivalisent d’énergie dans un dialogue bourré d’imaginaire qui marque la fin du voyage. Pour le rappel mérité, la montre cassée de «Broken watch» avec son coucou, sa trotteuse inexorable et ses ruptures ironiques conclue avec humour et gravité un concert délicat, inventif comme autant de scénarios et de vignettes impressionnistes.
Ces deux là sont prolifiques, trois disques au moins à leur actif et des tas de collaborations diverses. Ils sont également bardés de récompenses en tous genres et à l’écoute de ce concert on comprend pourquoi…  ils nous prennent par la main pour un voyage qui devient une nécessité musicale. Quel beau moment et quelle belle découverte.

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Texte : © Annie Robert
Photos : © Romain Calvetti (Klikon Studio)​
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Lieu : L’Astrada (Marciac, FRANCE) | 04/08/2021

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