Interview d’Anton Newcombe (The Brian Jonestown Massacre) – Eysines – 01/10/2022

INTERVIEW ANTON NEWCOMBE – LE VIGEAN – EYSINES (33) 1er Octobre 2022

Parlons un peu du titre du dernier album, The future is your past. Il porte quelque chose de punk ?
Ou est-ce juste un jeu de mots ?

C’est un jeu de mots que j’ai emprunté à mon fils, Wolfgang. Je note toutes ses expressions en pensant qu’un jour cela pourrait faire des titres de chansons. Maintenant, le titre résonne vraiment quand tu vois la montée du populisme, tous ces gens qui veulent remettre au goût du jour des choses du passé, genre « Make America great again ». Pour la pochette, laisse-moi t’expliquer comment elle est née : parfois je fais des coloriages, comme dans les cahiers pour enfants, en utilisant Photoshop. Pour cet album, je me suis dit : « On va fournir des crayons de couleur avec le disque, comme ça les gens pourront colorier comme ils le souhaitent. » La pochette représente un pas de tir de fusée, avec sur le verso un chevalier armé d’une lance sur un cheval qui s’apprête à détruire la fusée, parce que c’est la direction que nous prenons…. regarde ce qui se passe avec la Russie et la menace nucléaire en ce moment…

Tu vas vraiment donner des crayons de couleur avec l’album ?

Oui, absolument mais je ne pouvais pas le dire. Ce qui se passe, c’est que le CD est trop petit pour les crayons. J’ai organisé un concours sur mes réseaux sociaux : « Coloriez cette pochette et ce sera peut-être  votre dessin qui sera sélectionné ». Concernant les crayons avec l’album, personne n’a jamais eu l’idée. Quand tu imprimes un magazine ou une pochette, ça peut être fait en deux semaines, aussi quelqu’un qui n’aurait pas eu d’idée pour sa propre pochette aurait pu voler ce super concept, c’est pour cela que je n’en ai pas parlé avant.

Tu publies 2 albums dans la même année. Pourquoi ne pas avoir fait simplement une seule sortie avec un double album ?

Parce que je pense que ma musique doit être prise telle quelle, sans calcul. Il y a deux albums des Beatles que j’aime beaucoup : Revolver et Rubber Soul. Quand tu écoutes ces albums, ils ne contiennent pas les meilleures chansons, les singles ayant été publiés avant. Je pense néanmoins qu’ils l’ont fait exprès, en pensant « ce sont les meilleures chansons que nous avons ». Simplement les gens ne savent pas distinguer ce qu’est une bonne chanson. Donc j’ai mis les chansons que j’avais envie de mettre sur l’album, en pensant que le prochain disque sera encore meilleur. J’avais 70 chansons, mon ambition est de faire les meilleurs albums au monde, en prenant ce que je pense être mes meilleures chansons.

Fire doesn’t grow on trees est un album vraiment cohérent, égal en qualité du début à la fin. Tu considères The future is your past encore meilleur ?

Oui ! J’aime l’idée qu’à 55 ans je suis toujours capable d’être au top de ce que je sais faire. Quand tu écoutes de la musique et que tu aimes le morceau, ça ne s’explique pas, c’est comme ça. De même, quand tu lis un livre, la voix du livre est la tienne, tu deviens quelque part acteur du livre par le biais de ta voix et cela peut créer quelque chose de très personnel. Pour la musique, c’est un peu la même chose, on ne sait pas pourquoi les gens aiment telle ou telle chanson. Je me souviens quand j’étais petit, j’écoutais de la musique à travers les disques de mes parents ou la radio… Je me souviens avoir vu la société se transformer mais aussi je me souviens de la musique à cette époque… comme les Kinks. Puis après il y a eu toute la merde dans la musique, où les gens ne savaient pas trop quoi faire, juste obsédés par le fait de faire du fric, comme Michael Jackson. Je ne voulais pas être ce mec. Je ne veux pas non plus que mon âge rentre en ligne de compte dans le fait que je fasse ce concert tout à l’heure. Beaucoup font de la musique pour les jeunes de 13 ans, parce que le marché leur dit que c’est à eux qu’il faut s’adresser. C’est cynique. Je veux juste écrire et jouer de la musique. Et pour cela, je n’ai pas besoin de permission.

En parlant d’age, Liam Gallagher a récemment dit que le jour où il perdrait ses cheveux, il arrêterait de monter sur scène, parce que perdre ses cheveux n’est pas rock’n’roll… Tu en penses quoi ?

Je m’en fous ! J’ai assez d’argent, le cas échéant, pour me faire implanter des cheveux en Turquie ou
ailleurs !

Quel degré de culpabilité attribues-tu aux majors dans le changement de l’industrie musicale ?

On les a vus détruire si souvent l’industrie ! Mais ils ont réellement détruit la musique avec le disco. En voyant Dig it !, le film, les gens disaient en parlant de moi : « Oh, il détruit toutes les opportunités qu’on lui offre avec les labels ». Tout ceci c’est de la foutaise. Les labels ne vendent plus de la musique, ils vendent de l’information à propos des gens qui aiment la musique, en récupérant des données issues des plateformes de streaming. Quand tu utilises Spotify, ce n’est pas gratuit. Tu es traqué, et ces informations utilisées par l’industrie musicale. Tu crois qu’ils se contentent du reversement d’un dollar pour 5000 écoutes ? Ils ne disent pas la vérité. Maintenant, Spotify ne se considère pas comme une société de musique, au moins ils sont honnêtes là-dessus, même si les gens n’ont pas capté ça. 

Comment tu composes avec cet environnement de musique digitale, à l’opposé de ce que tu es ?

Je m’en tire plutôt très bien. J’ai une chanson avec 70 millions d’écoutes [NdlR : “Anémone”], une autre à 15 millions… Des mecs de la télé m’appellent régulièrement pour utiliser mes chansons dans des séries… vendre les droits d’utilisation ça fait une sacrée différence… Mais je ne parle pas de tout ça, parce que les gens ne comprennent pas que ce qu’ils voient dans les magazines, les photos, les reportages n’est pas ce qui se passe vraiment. Et puis tu ne peux pas dire « Allez tous vous faire foutre ! » et attendre des invitations pour les soirées de gala ou de récompenses. Tu es alors seul, en dehors du système. Parfois, ça me laisse pensif de savoir que quelle que soit la qualité de mes chansons, elles n’atteignent pas leur auditoire. Elles n’ont pas d’effet. Regarde Rihanna, on va produire peut-être 500 copies physiques de son album, mais à côté de ça elle va ramasser des millions en contrats publicitaires pour Galaxy ou autre. Sans compter la fuite “organisée” de son dernier titre : « Oups, quelqu’un a réussi à se le procurer, c’est dingue. » Alors que tout est savamment organisé en amont pour faire le buzz. Parfois tout ceci est décourageant parce que tu aimerais voir des choses différentes.
Je n’aime pas beaucoup parler de Dig it !, mais l’une des premières choses que j’y dis c’est : « Je vais faire vriller tout ce merdier et je vais vous montrer comment ! ». Et cela passe par créer sa propre culture. Qu’il y ait Live Nation, très bien. Mais il faut aussi des endroits pour la culture. Il faut que tous nous créions le monde que nous voulons. Maintenant plus que jamais où des gens décident de comment ils vont nous divertir avec le Metavers dans lequel tu peux payer des gonzesses virtuelles, les regarder avec tes lunettes de réalité augmentée et te br*nler ! Génial ! C’est ça la proposition, se passer des gens et du reste. C’est complètement dingue !

En 2015, tu as sorti un disque, Musique pour un film imaginé, tu es toujours dans l’esprit de créer une B.O de film ?

J’ai fait la musique pour une série pour la télévision, ça compte au moins pour 3 films compte-tenu de la durée : 6 épisodes d’une heure. L’industrie du cinéma, particulièrement Hollywood, ne comprend pas comment ça marche vraiment. Le cinéma et la musique ont toujours été étroitement liés depuis les frères Lumière. Regarde, au début il y avait un orchestre qui jouait pendant la projection au cinéma. Or, aujourd’hui ils résonnent suivant des plans, une suite de situations et non plus comme un tout.

Est-ce que tu as un rôle de mentor, auprès notamment de Tess Parks ou de Hakon ton guitariste ?

Quand Hakon arrive au studio, là où je compose tous les morceaux, je lui dis de jouer comme je jouerais moi : fais ci, fais ça. Il joue et on enregistre. Puis vient le batteur et les autres musiciens. Il n’y a rien de prémédité, ça vient comme ça, et c’est vrai pour tous les titres du BJM que tu peux écouter… Je me dis juste par exemple : « Joue comme Jim Morrison jouerait les Beatles » et c’est parti. Tout est naturel.

Hier j’ai vu un commentaire sur Youtube disant en substance qu’il était injuste que tu ne sois pas plus connu. Tu en penses quoi ?

Il y a des pays où je suis très connu, comme en Amérique du Sud ou en Australie, où je fends les foules comme Madonna sans parler à personne !

Quelle est la chose qu’il te reste à faire ?

J’écris beaucoup de chansons. J’imagine que tout ceci ne va pas durer indéfiniment, aussi je veux continuer à écrire non pas pour faire plaisir aux radios ou faire de la musique pour ressembler à quelque chose qui paraît cool sur les pochettes comme Jesus & The Mary Chain, mais pour impressionner ces personnes imaginaires auxquelles je pense quand je compose. Je pourrais louer les meilleurs studios, comme Abbey Road, mais à quoi bon ? Où est le besoin d’être parfait ? Parfois à 55 ans, je me demande si j’ai toujours l’énergie, mais la question ne se pose pas : il faut avancer. C’est ça que je vais continuer à faire.

Interview : Xavier Martin
Photos : Jessica Calvo

Merci à Bordeaux Rock, Allez les Filles et Anton Newcombe

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