David Linx – L’Astrada (Festival Jazz In Marciac) – 05/08/2021
Tombé dans la marmite du jazz depuis sa plus tendre enfance, professeur, compositeur et interprète David Linx est depuis un certain temps déjà, un incontournable du chant jazz européen et reconnu comme tel. Il pratique l’art vocal comme d’autres la marche en montagne, pour atteindre des sommets, avec technique, aisance et liberté maximale. Il a fait de sa voix un instrument à part entière qui demande travail et curiosité et qui nous ravit à chaque écoute.
Il a collaboré avec un nombre considérable de jazzmen, possède une trentaine d’albums en leader ou en duo à son crédit et de magnifiques spectacles parmi lesquels un hommage à Nougaro avec André Ceccarelli dont je me souviens encore… Sa voix, son style, sa manière de phraser, d’articuler, d’utiliser toute sa tessiture, de fouiller ses limites, sont bien reconnaissables. «Pour moi le jazz est une façon d’aborder la musique, et donc la vie également, comme une interaction constante entre les éléments. Le rythme est prioritaire pour moi : c’est le ballon qui rend le gaz (mélodie, harmonie et tempo) visible.» a t il dit dans une interview. Et là tout est posé.
Il présente cette après midi (séance à 15h et du public malgré cette heure baroque adaptée au Covid) son nouvel album «Skin in the game» dont le titre est révélateur de son engagement physique, primal : le jazz à fleur de peau, le jazz dans la peau.
Autour de lui, trois musiciens de haut vol, trois jeunes sherpas aguerris : Grégory Privat au piano, Chris Jennings à la contrebasse et Arnaud Dolmen à la batterie qui mènent l’exploration avec fougue, savoirs et intrépidité. Ils apportent la jeunesse certes mais aussi un talent et une osmose exceptionnels. Leur qualité laisse sans voix. La silhouette longiligne de David Linx, sa présence souriante créent l’écoute immédiatement. Le chant s’élève d’abord sans paroles, puis entre dans les mots. Le piano harmonieux et volubile, la contrebasse tendre et la batterie légère se rajoutent tout en douceur pour ce premier morceau intitulé To the end. Le contraste est fort avec Azadi qui avance dans le groove. La voix puissante et les belles libertés prises avec le rythme sont un vrai plaisir. Les harmonies du groupe y sont volontairement un petit peu «en dehors» pour causer l’attention, la surprise, sortir de l’attendu. Pas question de s’endormir dans le conventionnel, pas question non plus de se perdre dans les méandres de l’irrationnel. Le morceau suivant, le Bonheur, de Grégory Privat est une mélodie douce, soyeuse, déroulée en petites vagues de rivière, à la fois calme et pleine de vie. Le scat léger glisse entre les herbes, dialogue avec le piano pour se terminer en samba légère et joyeuse laissant éclater ce dit bonheur. Changed in every way nous offre une impro contrebasse, centrée sur les graves, magnifique et un chant en suspension émouvant en diable. Sur Night Wind, le chant déclamé avec conviction par David Linx s’approche du slam avec les réponses glissées entre le piano et la batterie. Prophet Birds dévoile sensibilité et puissance, le chant à la justesse paisible résonne avec le propos mélancolique du piano. Le titre prend l’allure d’une véritable songe musical poétique et sensible. Skin In The Game, est un poème poignant et chargé de groove. Sur la corde raide, le leader se joue des harmonies et décale le rythme sans en avoir l’air. C’est parfait.
A tous moments, on sent de façon tangible la complicité qui lie les musiciens. Les oreilles sont ouvertes tous azimuts, l’écoute permanente. Les morceaux suffisamment longs permettent d’installer le dialogue. Une impro à trois homérique dans le final témoigne de cette entente particulière. Quant à la voix, séduisante par essence, elle ne cherche pas pour autant à séduire. Hors des inflexions attendues, elle explore des cavités haut perchées, des ramures légères ou des émotions soutenues par une grande force de conviction. L’impressionnante technique se fait oublier. En regardant l’intitulé du spectacle, je me suis dit d’abord que l’on avait peut être association de la carpe et du lapin… du vieux briscard et des jeunes padawans … Mais c’était sans compter sur la capacité de la carpe à respirer hors de l’eau, et du lapin à nager ardemment… de la jeunesse de l’un, de la maturité des autres.
Ces quatre là étaient fait pour s’entendre. Ils nous offre à travers «Skin in the game» un spectacle magnifique, revigorant et d’une liberté formidable. En ces temps de blues, c’est nécessaire, nécessaire et nécessaire…
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Texte : © Annie Robert
Photos : © Thierry Dubuc : Cliquez ici
Lieu : L’Astrada (Marciac, FRANCE) | 05/08/2021