[Le Son du moment] Thee Marloes / What’s On Your Mind

Originaires de Surabaya en Indonésie et révélés en 2024 avec l’album Perak, Thee Marloes poursuivent leur ascension : après une première tournée américaine acclamée et alors qu’ils finalisent leur deuxième album, le trio indonésien dévoile Harap Dan Ragu, en indonésien dans le texte. Ce nouveau single mid-tempo — qui s’inscrit dans la lignée de I’d Be Lost et What’s On Your Mind, déjà extraits du prochain album — mêle riff de guitare entêtant, voix lumineuse de la chanteuse Natassya Sianturi et une soul nourrie de leurs racines indonésiennes.

À première écoute, Thee Marloes semble renouer avec une certaine idée de la soul : une batterie ferme, une guitare au jeu élégant, une voix claire qui raconte des émotions très humaines. Pourtant, ce qui retient rapidement l’attention n’est pas seulement leur maîtrise du genre, mais l’endroit d’où tout cela émane : Surabaya, en Indonésie. Une ville portuaire, vaste, bruyante, où cohabitent traditions, modernité et une multitude de scènes locales qui n’ont pourtant presque jamais exploré cette esthétique-là. C’est dans ce contexte que Natassya Sianturi, Sinatrya “Raka” Dharaka et Tommy Satwick ont construit leur identité musicale, presque à contre-courant, mais sans jamais avoir cherché à l’être.

Avant que le trio existe, Raka compose en solitaire. Ses influences, ancrées autant dans le hip-hop américain que dans le rock alternatif, l’amènent à écrire des morceaux à la structure simple, guidés par l’intuition plutôt que la théorie. Il rentrait du travail, prenait sa guitare et consignait des idées sans imaginer qu’elles prendraient un jour une forme publique. La rencontre avec Tommy a ouvert un premier espace de dialogue musical. Ensemble, ils ont passé des années à jouer partout où cela était possible : petits clubs, scènes improvisées, soirées DJ. Cette période n’a rien de spectaculaire, mais elle leur a appris à écouter, ajuster, et surtout comprendre comment un public réagit, en Indonésie comme ailleurs en Asie du Sud-Est.

En 2019, une voix change tout. Lors d’un concert local, ils découvrent Natassya. Sa présence scénique est simple mais magnétique, et sa voix porte une expressivité qui détonne : héritée du chant d’église, façonnée par une famille musicienne et nourrie par des inspirations qui vont de la famille Jackson à Erykah Badu. Lorsqu’elle entre en studio avec eux, quelque chose se stabilise immédiatement. Ce n’est pas seulement une addition : c’est un point d’équilibre qui permet aux idées de Raka et Tommy de prendre une dimension plus large, plus organique.

Le groupe travaille depuis un home-studio qui fait office de laboratoire. Pas de recherche esthétique trop théorisée : ils enregistrent, réécoutent, déconstruisent, recommencent. Le temps n’a jamais été une contrainte, et cette liberté s’entend dans leur écriture. Leur musique avance par petites touches : une ligne de batterie légèrement déplacée, une harmonie qui s’ouvre, une phrase chantée en indonésien parce qu’elle sonne juste. Dans un pays où cette soul brute n’a pas d’héritage local, Thee Marloes s’est formé sans modèle à suivre, en se fiant davantage à leurs sensations qu’à une référence figée.

Cette démarche artisanale, sincère, a fini par attirer l’attention de Big Crown Records, un label new-yorkais dont le catalogue – Lee Fields, El Michels Affair – faisait déjà partie de leur vocabulaire musical. Le premier contact, inattendu, a eu l’effet d’une validation profonde : l’idée que ce qu’ils construisaient à Surabaya pouvait résonner bien au-delà de chez eux.

En août 2024, ils sortent Perak, leur premier album. Pour eux, ce n’est pas un manifeste mais une photographie précise du moment où ils se trouvent : un disque où cohabitent l’énergie des titres plus rythmiques, des ballades qui vont droit au cœur, et plusieurs morceaux en indonésien qui affirment leur identité sans la surligner. Plutôt qu’un exercice de style, Perak fonctionne comme une porte d’entrée vers leur univers : une musique directe, accessible, mais travaillée avec une attention extrême au détail.

Aujourd’hui, Thee Marloes avancent sans chercher à correspondre à une tendance ou à un rôle particulier dans la scène indonésienne. Leur force tient dans cette façon de s’ancrer dans leur quotidien — Surabaya, leurs influences, leurs échanges, leurs rencontres — tout en écrivant une soul qui parle de choses simples : le désir, la lucidité dans les relations, la joie de jouer ensemble. Sur scène, on perçoit la même précision que dans leurs enregistrements, mais aussi une dimension plus spontanée, plus physique, qui explique l’attachement immédiat que le public développe pour eux.

Thee Marloes n’essaient pas de faire différent. Ils font ce qui leur ressemble, et c’est précisément cela qui les distingue : une musique façonnée au rythme de leur propre chemin, nourrie de leur ville, de leurs voix, et d’une manière de travailler qui privilégie la justesse à l’effet. C’est peut-être pour cette raison que leur parcours, parti d’un home-studio de Surabaya, continue désormais de trouver un écho bien au-delà des frontières indonésiennes.

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