Le degré Jazz de l’écriture – Jazz In Marciac
Nougaro. New’ Garo. Intemporel. Le souffle. Une soeur âme. Unique. Un coeur. Battant. Une écriture cherchant au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ! Un style. Un feu. Sacré. A contre-temps d’une époque et de l’industrie musicale. Itinéraire d’un poète égaré parmi les chanteurs. Petit taureau invaincu. Inégalable. Claude Nougaro a ouvert une brèche mais a laissé une béance. Mosicien, il a créé un style : le cinémot. Pour certains, une utopie. A Marciac, une évidence où le langage jazz est un art patrimonial. Hommage inévitable lui est donc rendu cette année ainsi qu’à Jazz à Vienne, Jazz sous les pommiers et Les Suds à Arles.
Une soirée nougaresque qui commença donc avec le génie gallianesque et son New York Tango avec Adrien Moignard à la guitare et Diego Imbert à la contrebasse. Richard Galliano, compagnon de route et auteur, entre autres chef-d’oeuvres, de Tango pour Claude. Clins d’œil et entrecroisements chromatiques dans les compositions nacrées comme on croise des rimes virtuoses dans un quatrain métré : Toulouse, Chat-pitre, Bach, Chaplin, Fou rire », Walt for Nicky, etc.
Une gageure que d’interpréter les vers de l’homme aux semelles de swing… relevés dans l’allégresse par Fred Pallem pour animer (donner âme) à la direction musicale, une vingtaine de musiciens et un all-star de tous horizons composé de Souad Massi, Marion Rampal, Gabi Hartmann, Siân Pottok, Babx, Sanseverino, Jowee Omicil, André Minvielle, Jacques Gamblin et Ray Lema.
Nougaro inactuel et donc nouveau. Inactuel étant à prendre ici dans son acception Nietzschéenne car tournée vers l’avenir. Une poésie de l’avenir dira Rimbaud quand il exposera sa poétique et sa vision social du travail du poète. Claude Nougaro, poète sociétal (racisme, amour, religion, écologie, football, révolution avec Paris mai censurée de radio et de télévision…) qui peignit les travers d’une société déjà tournée vers ses fausses mythologies et qui s’extraya volontiers de la déferlante sèche et mercantile des bluettes yéyés qui se déclinaient sur le ronron prosaïque de 4 accords syncopés. Il préféra l’ineffable mystère de la note bleue et de ses solos infinis. Un talent protéiforme, pétrit de verve hugolienne, décrit, avec justesse, comme l’homme qui avait un peuple dans la voix, s’inscrivant de plain-pied dans le jazz existentiel de Saint-Germain-des-Prés : Sartres, Vian, Miles, Cocteau, Audiberti…
Déjà, dans Libération en 1973, il déplorait que la chanson ne fût plus un art du tout : La chanson, c’est un terme qui porte à confusion. D’un côté, ce qu’on entend à la radio : des tonnes de lieux communs… […] Je me sens profondément inscrit, d’une façon presque organique, dans la réalité du rythme. Le rythme, et ceci est très mystérieux, se situe aux origines de la vie. Il est inscrit dans notre chair et dans la structure même de notre pensée.
Lucide, il savait que l’emploi même du vocable poésie est dérisoire car il peut prêter à rire et est associé à d’immédiates métaphores comme, par exemple, aller chercher quelque framboises dans le ciel… Métaphores dans lesquelles certains s’engouffrent vite. Même sans malveillance… La poésie, il la préférait quichottesque, à plein poumons, signifiante, cinématographique, à bout de souffle, crescendo comme l’illustrent ses chansons. Un langage autre fabriquant un présent plus vrai que nature. Traduisant la musique en mot. Au pied de la lettre…
Ce que je veux faire passer, c’est l’inconnu. Je cherche à créer des fantômes plus vivants que la vie. Je n’y arrive pas souvent. De toute façon, le chant, le chant-songe, c’est un art collectif. Quand je chante, je suis entouré de musiciens, avec lesquels il y a une trame singulière. Et nous sommes là une dizaine, au milieu des jeux de sons et de lumières, pour pêcher je ne sais quel poisson inouï. Alors, si vous ne voyez pas le poisson sortir de l’eau, eh bien, c’est que c’est loupé. Mais parfois, il y en a qui le voient…
Chapeau bas…
Océane, brésilienne, africaine, architecturée comme une cathédrale, cette inspiration il la puisa au confluent des métissages sémantiques et musicaux. C’est une définition du jazz comme l’ont montré les accords solaires de Rolando Luna évoquant Baden Powell, Chico Barque et tant d’autres : Chucho Valdes, Kenny Garett, Marcus Miller, Ornette Coleman, Dave Brubeck, Louis Armstrong… Le jazz, c’est un tissage, un maillage, une trame : un texte (textus). Une histoire faite de la même étoffe. Comme l’humanité ?
Claude Nougaro a ouvert une brèche mais a laissé une ordonnance, une méthodologie. Car il croyait, dans la bonne tradition grecque philosophique, au pouvoir salvateur des mots. Négro-grec comme il aimait à dire, il y a autant de pépites dans ses ouvrages que dans ses chansons : Ecrivain, vaincre le vain, L’accord ou la corde, Un poète est un mystique à l’envers, en vers et contre tout.
Dans une interview, il déclara : Je pense que les formes soi-disant archaïques de la poésie française et notamment la prosodie classique, avec l’alexandrin et l’octosyllabes, je pense que ce carrefour actuel, cette conjonction avec la musique, et surtout la musique rythmique de notre temps, ça va donner une chance nouvelle à la forme classique du vers français car je trouve qu’il y a entre la structure, les cadences du vers français et les cadences de la musique, par exemple, de jazz, qu’il y a absolument des identités profondes. Et l’alexandrin de 12 pieds, par exemple, est tout à fait à l’aise dans le blues de 12 mesures. Il y a arithmétiquement une espèce d’identité, oui.
Tout est dit !
Texte : Franck H
Photos : © Laurent Sabathé