Ludovico Einaudi – Jazz in Marciac – 20/07/2024
Le pianiste et compositeur italien Ludovico Einaudi arrive à Marciac pour proposer, dix ans après sa sortie, l’un de ses albums les plus significatifs et les plus appréciés, In A Time Lapse, en l’appréhendant d’une nouvelle manière avec un orchestre inédit de six musiciens absolument épatants, plein de talents et un travail quasi symphonique entièrement repensé.
Comment un festival centré et concentré sur le jazz, même avec des incursions ces dernières années vers la pop ou le rock grand public, va t il accueillir celui que l’on présente comme un musicien néo classique, dont la musique écrite, travaillée à la note près, n’a pas grand chose à voir avec l’impro ou le groove.?
Mais curiosité énorme, le public est au rendez vous.
Ludovico Einaudi, il faut le dire est un phénomène ! Des millions d’albums, des centaines de millions de streamings, des concerts complets aux quatre coins du monde, et pourtant sa musique interroge toujours et encore et a fasciné les cinéastes du monde entier ( bande annonce des Intouchables ou de Homeland), par sa puissance d’évocation.
Ce concert reprend les ingrédients qui ont fait son succès : piano bien sûr (le sien) cordes (violon , contrebasse) guitare et électronique , percussions variées et étonnantes et bien sûr les mélopées répétitives porteuses d’une foule d’émotions, de la mélancolie la plus pure à la plus forte exaltation .
Son oeuvre se révèle magnétique, elle émeut autant qu’elle captive. Et il va nous en faire démonstration tout au long du concert.
Sa base de travail, très contemporaine est centrée sur la répétition apparente. Je dis bien apparente, car si les boucles se déroulent et semblent identiques, un rien, une altération, un accord légèrement différent sur la main gauche transforme l’équilibre et le mène vers l’ailleurs. La sobriété du piano s’enrichit des volutes des cordes, des inflexions électroniques et des percusssions. Les mélodies ocsillent entre la simplicité, la nostalgie et la force d’une acmé trouble.
Ce sont des notes d’eau, de sable, de pierre et de chaux, des moments de marche suspendue, de combats forcenés, de rugissement, de plaintes d’arbres, de plumes d’anges envolées.
Les pochettes des disques de Einaudi évoquent la nature, des trouées d’arbres ou des tableaux d’art contemporains et ce n’est pas pour rien.
Il faut s’attarder sur les mains qui semblent suspendues par des silences d’attentes, les petites sautes de note en note, minimalistes et chatoyantes, un frisson d’eau sur la mousse, les graves dramatiques du piano, les grattements des cordes, les chants d’oiseaux dissimulés dans l’électronique
Ce sont des retrouvailles modernes avec des pratiques ancestrales : les danses de transes, les appels chamaniques, les sabbats de sorcières, les chants funèbres ou les folles bacchanales. Avec des explosions de sons et de lumières ou un retour au calme d’un son de glockenspiel tout autant porteur d’émotion que la folie irlandaise du violon.
Les quatre morceaux solos, d’un spleen délicieux sont une respiration parfois désespérante, parfois pleine de lueur. Et la pluie sur le toit n’ a pas manqué d’y ajouter une dimension supplémentaire, organique et naturelle.
Et c’est peut être pour cela que la musique d’Einaudi nous parle autant, nous fascine, nous embarque.
Elle est universelle, un rien trouble, ambivalente, bien ancrée dans notre inconscient temporel ..
Elle nous ressemble dans nos hésitations, nos humeurs noires, nos découvertes heureuses.
Et le public de Marciac ne s’y est pas trompé. Déconcertés parfois, les spectateurs se sont révèles curieux, et très vite enthousiastes
Un triomphe en fin de concert et un rappel généreux de deux morceaux clôturera ce moment étonnant..
Si Einaudi a du succès, il ne le doit qu’à lui même, qu’à sa musique, qu’aux sources dans lesquelles il puise et qui sont aussi les nôtres. On partage avec lui et ses musiciens plus qu’un moment, plus qu’une musique, une humanité tourmentée et remplie de mémoire.
Le site officiel : Cliquer ici
Texte : © Annie Robert
Photos : © Laurent Sabathé
Lieu : Chapiteau (Marciac, France) | 20/07/2024