Le Son du moment – You Said Strange / Treat Me
L’aspect le plus marquant de Thousand Shadows Vol.1 est cette production au cordeau, due à la présence aux commandes de James Goodwin (producteur des derniers disques somptueux de This Is The Kit, Kevin Morby et Wand) et au travail scrupuleux de l’ingé son Théophile Durand, amplifiant d’autant plus le songwriting précis et consciencieux que le projet n’a cessé de faire évoluer au fur et à mesure de ses disques et de ses expériences scéniques. Les guitares fuzz sont plus abrasives que jamais, ne cherchant plus à inspirer la quiétude des opus précédents, mais bien à mettre en avant le dialogue constant des voix et des six cordes, ainsi que les variations présentes dans chaque titre, marque de fabrique indélébile de You Said Strange.
Mourning Colors avait introduit cette variation redoutable et immédiatement captivante, cette nouveauté sonore imprégnant les huit chapitres d’une œuvre brûlant et s’enflammant lentement mais sûrement. Elle se poursuit avec Treat Me.
Mélodiquement, les arrangements s’unissent à la rythmique afin d’amplifier les échanges entre instruments et chœurs, tout en dissimulant, derrière des murs du son revêtant chacun leur personnalité, identité de ces milliers d’ombres que l’on croise au détour des claviers de « So Sorry », du solo éclatant de la piste éponyme ou des dissonances rock imprévisibles de « Mediterranean » ou « Treat Me », tournants pulsionnels passionnants et novateurs du projet normand. L’impact se fait plus universel, n’hésitant pas à mouiller la chemise et à sortir des zones de confort du psychédélique pour raffermir les harmonies et les effets produits sur l’auditeur, passant alors de l’état de sommeil paradoxal à la frénésie et à l’irrépressible envie de se dépenser sans compter, d’obéir aux démons invoqués par les musiciens.
La composition est racée et ambitieuse, explorant les capacités d’une expérience artistique de plus de cinq ans. Au-delà de quelques retours fidèles aux origines comme avec « Talking To The Rats », les changements d’allures et de choix créatifs sautent au visage d’un public d’abord étonné, puis voyant ses habitudes et convictions bouleversées par l’acception que You Said Strange a faite de ses envies d’électricité et de puissance. Bercé de doux instants suspendus, comme lors de l’utilisation des chœurs introductifs de « Run Away », Thousand Shadows Vol. 1 est une course contre la montre, un festival d’émotions fortes et de délices diaboliques que l’ultime « Landed » apaise enfin. La rugosité ambiante se voit intelligemment mise en valeur par un travail en studio méticuleux, fruit d’une réflexion de trois ans passés à peaufiner les moindres détails de l’œuvre.